Les méchants ont toujours raisons
En ce moment je relis « l’exil et le royaume » de Camus. Je suis resté assez perplexe à propos d’un passage :
« On m’avait trompé, seul le règne de la méchanceté était sans fissures, on m’avait trompé, la vérité est carrée, lourde, dense elle ne supporte pas la nuance, le bien est une rêverie, un projet sans cesse remis et poursuivi d’un effort exténuant, une limite qu’on atteint jamais, son règne est impossible. »
Au début j’ai réagi assez violement en me disant que ce n’était pas possible, que la méchanceté n’était pas la seule solution. Que c’était juste une solution de facilité et qu’il ne fallait pas l’adopter. Je suppose que d’accepter cette phrase au premier abord été impossible pour moi, ça renierait trop les fondements même de ma vie. Malgré tout, en y réfléchissant, cette phrase a du vrai. Je n’irais pas jusqu’à dire que la méchanceté est sans fissure, mais c’est quand même une façade assez solide. Le mal peut se permettre d’être déraisonnable, de ne pas se justifier, de faire ce qu’il veut…et si ce qu’il fait est mal et bien tant mieux c’était le but. Le bien quand a lui doit être réfléchit et mûrit longuement car somme toute il y a plus de chance de faire du mal en voulant faire du bien que l’inverse. On ne dit pas faire pire que mieux pour rien.
Ca n’a peut être pas grand-chose à voire, mais je ressens un peu la même chose lorsque je parle avec quelqu’un qui se tape galère sur galère dans sa vie. Des fois j’aimerais pouvoir dire quelque chose, montrer les points positifs de l’existence, mais je ne peux pas. Comment serrait il possible que quelqu’un, qui n’a jamais eu de vrai problème dans sa vie, montre le chemin à quelqu’un qui est dans la merde jusqu’au coup ? Le mal est le plus fort, il laisse sans voix. Je me suis déjà surpris à souhaiter qu’il m’arrive des malheurs imprévisibles, que je puisse moi aussi me lamenter sur mon sort pour des raisons valables, pas pour mes petits problèmes nombrilistes. Je rêve aussi de réussir à surmonter ces malheurs pour ensuite pouvoir dire aux autres, moi aussi j’étais au fond du trou, mais ça passe, tu vas t’en sortir. Bon pour l’instant j’ai eu de la chance aucun de ces souhaits morbides ne se sont réalisés, donc je dis juste ça va passer, mais je ne suis pas convaincu moi-même car je n’ai pas vécu la même situation. Après tout y a bien déjà un type qui nous a dis il y a 2000 an que ça allait passer, mais manque de pot on lui a cloué le bec, enfin façon de parlé.
Au final je n’arrive toujours pas à me faire une idée sur ce passage. En plus j’ai pas vraiment compris le message que Camus essaye de faire passer dans les dernières lignes de la nouvelle. Je pense quand même que tant que je pourrais je résisterais corps et âmes contre cet aveu d’échec de l’humanité. Je ne veux pas croire que le mal est le plus fort…même si souvent ça parait une évidence et que j’ai juste l’impression de faite l’autruche en n’acceptant pas cette vérité.
Euh je viens de relire ce texte…désolé de vous faire subir ça c’est un peu pathétique ce que j’écris : Et patati le bien par ci et patata le mal par là !...mes sincères excuses !
Ecrit par Nbishop, le Mardi 23 Mars 2004, 02:18 dans la rubrique "Premiers Pas".
Commentaires
j'ai envie de réagir...
consul
23-03-04 à 06:15
Que ce passera-t-il lorsque tu lira « la chute » de ce même auteur ; Ce livre s’adresse directement au lecteur sur le ton de la confidence et c’est bien la seule supériorité que le narrateur garde sur le lecteur potentiel : Tu vois, je te parle de moi… je t’apprends qcq chose… Mais ce qu’il nous apprend concerne notre petite misère… et elle est partagée au mieux par tous… et nous ne pourrons que mentir en nous défendant de sa ligne de conduite ; Au fond, par d’autres moyens nous ne pouvons que le rejoindre… mais le suivrons-nous jusque dans son honnêteté ? Nous entendrons ce rire tôt ou tard- à moins de se mentir.
La vérité est ce qui aide à vivre disait un grand philosophe…
D’autres points me donnent envie de réagir… d’autres points de ton texte ; alors en vrac dirai-je ceci :
Je ne crois pas que le malheur puisse tjs éclairer autrui sur ses choix ; La souffrance réclame souvent autre chose que la « vérité » et la « sagesse » ; En outre, le chemin d’autrui est rarement accessible… et à chacun sa croix. Oui, il y a l’évidence de certains choix, les grandes lignes sont données … mais les tensions personnelles profondes, le vécu d’une personne, les perceptions des faits de la vie… sont et restent souvent hermétiques.
La dichotomie des valeurs de bien et de mal est trop facile et … est un des plus beau mensonge de l’homme… le mensonge est un produit de l’intelligence (il est d’autres produits de l’esprit… mais le mensonge en est un).
Alors la révolte contre sa condition ; Maldoror, Caligula ? – et comme ce dernier livre, de Camus ressemble au contenu de « Sur les cimes du désespoir » de Cioran … la comparaison et les divergences valent le détour.
Et la « blessure de l’homme enfante un plus beau mensonge »…
« Fin de partie » contre « Aimes –toi et la vie t’aimera »… Qui veut s’en soucier ?
Qui appellerait son enfant Thanatos ? Eros… oui- mais Thanatos ?
J’en connais des tonnes qui pleuraient sur le premier oiseau mort qu’ils croiseraient… mais n’est-ce pas une insulte face à la souffrance qu’ils refuseront de voir. Ils seront réconfortés par la lecture de l’ »Alchimiste »… mais qui pourrait les blâmer ?
Camus condamné par la tuberculose voit le sursis levé… et il mourra dans un simple accident- Quelle farce ! Nous sommes finis et contingents ! Comment ne pas devenir croyant ?
Alors résister au mensonge et lire Beckett… pourquoi ?
Moins une question de choix… certains y sont forcés.
Relis ta nouvelle … repense à ce qu’est une vie ; Camus à une perception de l’homme et il faut encore la dégager de cet écrit.
Ouf- rien n’oblige… on peut passer sa soirée avec Panique sous les Tropiques, Pacific Blue, Mes plus Belles Années et Sous le Soleil … soleil qui symbolise le Vrai pour Platon !
Je n’ai rien à apprendre à qui que ce soit, et pas de leçon à donner… mais je revendique le droit de m’exprimer…
Je te souhaite une bonne journée
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Re: j'ai envie de réagir...
Nbishop
23-03-04 à 22:15
Bonjour Consul,
Merci d'avoir pris le temps de me faire part de ces pistes de réflexions. C'est vrai que tout ça est encore assez flou pour moi et que je devrais relire la nouvelle pour mieux comprendre certains passage, voire la globalité. Je pense quand même que j'attendrais d'avoir lu d'autres livres avant de me replonger dedans...et pourquoi pas un des nombreux ouvrages que tu cites.
En ce qui concerne donner ton droit de t’exprimer tu es toujours le bien venu à le faire ici, et même si tu estimes ne pas avoir de leçons à donner, l’avis d’autrui me permet de voire les choses sous un angle auquel je n’avais pas pensé avant et donc d’apprendre.
Bonne journée à toi aussi.
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sorry...
consul
23-03-04 à 06:22
Ah j’ai oublié le beau paradoxe que tu offres… si les méchants ont tjs raison… Camus a-t-il tort ? Et si Camus dit vrai...
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Songe
23-03-04 à 22:22
Bonsoir Nbishop !
Je commente dans le fil de la lecture avant de lire le commentaire de consul pour ne pas me laisser influencer ...
La question du Mal et du Bien m'a toujours intéressée parce que j'ai toujours eu ce sentiment qu'elle était mal posée au départ. Je préfère la vision du ying et du yang qui met le noir dans le blanc et le blanc dans le noir, bien qu'intimement je pense que c'est encore bien plus subtil que ça dans les nuances claires et sombres du bien et mal.
Déjà il me semble important de ne pas partir d'une vision manichéenne d'un Mal absolu ou d'un Bien absolu, l'un comme l'autre n'existent pas, rien ne fera jamais absolument du bien ou absolument du mal. Seulement ce que je constate c'est qu'effectivement le mal est plus aisé à faire que le bien mais affirmer qu'il soit sans fissures c'est méconnaître et l'origine et la nature du mal.
Pourquoi est-ce plus aisé de faire le mal ? Parce que je pense que pour faire le bien il faut savoir se mettre à la place de l'autre pour savoir ce qui lui fait du bien (parce que vouloir le bien selon ce qui nous semble bien pour l'autre c'est souvent lui faire du mal par inattention, par négligence) tandis que faire du mal ne demande que de rester à sa place et de faire travailler son imagination à toutes les méchancetés et tortures imaginables. Mais il ne faut pas oublier une chose importante : généralement on fait du mal pour se faire au moins un minimum de bien à soi (ne serait-ce que celui de soulager sa frustration) et c'est là que sont les fissures je pense ... en effet, j'ai du mal à concevoir le fait qu'un homme trouve indéfiniment son sens de vie à s'employer au mal sans que ce soit pour lui une nécessité vitale; et si ça l'est je ne peux m'empêcher de penser que les fissures de la forteresse du Mal se trouvent sur les parois intérieures à défaut d'être apparentes. Le Mal ne naît pas spontanément, c'est une habitude, c'est un sentiment larvé qui s'exprime progressivement ou brutalement.
En fait plus je progresse dans mon commentaire plus je me rends compte que la question du Mal est aussi complexe que l'est la question de la subjectivité : en effet, le Mal est avant tout une question de jugement, il n'existe concrètement que dans le ressenti ... si je devais donner une vision allégorique du monde, je dirais que si le Mal est un empire, le Bien en sera toujours l'insaisissable rebelle; je me plais à penser le Bien comme la fissure du Mal, cette épine dans son pied, son défaut ... si je regarde autour de moi, le Bien me semble davantage un terrain dérobé au mal qu'un empire en conflit avec son voisin le Mal (ça c'est une vision commune servie à toutes les sauces pour canaliser les passions dans des causes, des idéologies : le mal islamique, le mal juif, le mal communiste ou, pour rester impartial, le mal américain ...).
Enfin tout ça pour en venir à la question que tu soulèves ensuite du "que peut-on faire de bien contre un mal qu'on n'a pas subi soi-même ?" Peut-être tout simplement faire ce qui te semble bien pour l'autre sans vouloir de suite trouver le remède au mal ... parfois il suffit d'une écoute attentive, d'attentions simples et chaleureuses et ce de façon durable pour apporter le bien qui efface les plaies laissées par le mal. Mes amis qui ont vécu pour certains des choses bien plus graves que ce que je ne vivrais peut-être jamais, au regard de tout un chacun, ne m'enlèvent pas le droit d'être de bon conseil ou de répondre à leurs maux pour autant ... tout simplement parce certains vivront ces choses comme d'autres vivent leurs chagrins d'amour et inversement ... pour chacun, le fait de pouvoir lui répondre ou non dépend de lui avant tout et de ton attention ensuite ...
Et déjà, première chose, ne doutes pas de toi comme tu le fais sous ton texte :o) parce tu t'exprimes et y répondent ceux qui s'y reconnaissent ou ceux qui le condamnent, mais il est important de laisser le jugement qualitatif aux autres quitte à avouer ses torts et faiblesses par la suite s'ils sont reprochés. Un mea culpa est utile de temps à autre mais il ne doit pas devenir un manque de confiance en soi permanent (non pas que je pense que ce soit le cas mais je sais que c'est le cas de la plupart des gens :o).
Personnelement je trouve la réflexion intéressante et bien introduite, sinon je n'aurais eu envie d'y répondre ;o)
Chaleureusement
Songe
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